La méthode de l’objet technique

La méthode de l’objet technique est au coeur de l’histoire de Metod Crea. Présentation

C’est une méthode d’analyse du travail et d’élaboration de l’expérience, issue des courants de
l’entrainement mental, de la pédagogie inductive et des travaux en philosophie de la
technique (Simondon, 1956). Elle fut conceptualisée dans le champ de la formation des
adultes par Marcon (1976) et développée aujourd’hui comme méthode d’intervention dans le
développement des collectifs de travail et des organisations. Elle trouve ses racines dans
différentes disciplines des sciences humaines et sociales. Dans cette approche, un collectif de
travail engage un processus de recherche-action à partir d’un objet technique pouvant en
fonction de la demande, viser les objectifs suivants :
a) Déclencher un processus d’auto-évaluation et d’évaluation sur :

  • Les acquis expérientiels
  • Les stratégies d’apprentissage
  • Les processus et l’organisation du travail

b) Favoriser l’émergence de « projets » individuels et / ou collectifs :

  • Les besoins d’information et de formation,
  • Les projets professionnels/projets de formation
  • Les projets de transformation d’une situation de travail
  • La facilitation des processus de collaboration et de coopération des collectifs de travail

c) Expérimenter une situation de formation

  • L’apprentissage d’une méthode inductive transférable sur d’autres situations.

Cette méthode invite à l’expression individuelle et collective de ce que l’on sait, ce que l’on ne
sait pas et ce que l’on voudrait savoir sur le fonctionnement d’un objet technique issu de la
situation de travail. Cette approche centrée sur l’élaboration de l’expérience facilite une autoévaluation positive et permet de renforcer le sentiment d’auto-efficacité et l’estime de soi
(Bandura, 2007).

La démarche inductive engage un processus réflexif où les questionnements
sur et à partir de l’objet concret vont permettre de comprendre la loi de fonctionnement de
cet objet. Ce passage du concret à l’abstrait, de l’objet au projet, de l’expérience vécue à son
élaboration, ouvre un questionnement individuel et collectif et des perspectives d’actions.
Démonter l’objet, nommer ses composantes et leurs liens pour tenter d’expliquer le
fonctionnement de celui-ci, amorce le changement. La MOT éprouvée en situation
d’intervention dans les entreprises et en situation de formation, est un outil pertinent à
valoriser, naturellement en résonance avec la clinique du travail (Lhuilier, 2006). Ainsi cette
méthode s’adresse à la fois aux consultants, aux intervenants en entreprises, aux
enseignants/formateurs /tuteurs et aux étudiants-futurs cliniciens du travail.

Les origines

Trois contextes socio-politiques rythment et dessinent la forme et les usages de la méthode.
Esquissée en 1942 dans les maquis du VERCORS – à partir de la méthode de l’entraînement
mental élaborée par J. Dumazedier et B. Cacérès, comme démarche d’apprentissage au
raisonnement logique et à la délibération collective pour agir en autonomie dans des
situations concrètes – cette méthode d’autoformation répondait ainsi aux besoins des
maquisards de constituer, à partir de leur hétérogénéité sociale, culturelle, idéologique et
professionnelle, des groupes autonomes et opérationnels en capacité de résoudre
collectivement des problèmes et d’apprendre à remonter rapidement les armes parachutées
en pièces détachées. Cette méthode de l’entraînement mental a contribué au développement
des mouvements de l’Éducation Populaire.
Cristallisée au cours des années 1980-90 par Michel Marcon qui relie les approches de
l’entraînement mental avec la pédagogie inductive et les travaux de G. Simondon. Il répond
aux enjeux de l’insertion des jeunes sortis du système scolaire sans qualification et à
l’élaboration des plans de formation pour la reconversion des salariés, dans le champ de la
formation continue. La Méthode de l’objet technique s’est positionnée comme outil
d’expression de besoins individuels et collectifs de formation issus des savoirs expérientiels.
Dans cette approche, les catégorisations, souvent stigmatisantes en termes de niveaux de
diplômes et de qualifications pour évaluer les compétences, ne sont pas considérées comme
obstacle pour reconstruire individuellement ou collectivement des voies d’accès au savoir.
Michel Marcon évoque un contre-modèle dans la relation pédagogique et dans l’évaluation.
Il met en avant un nouvel équilibre dans le rapport à la formation souvent asymétrique entre
celui qui détient le savoir et celui qui apprend. Pour lui, « la relation pédagogique
traditionnelle inhibe toute évaluation équitable ». Cette contre-méthode renverse les
pratiques pédagogiques usuelles.
Développée aujourd’hui au regard des mutations du travail, mobilisée dans le cadre
conceptuel des cliniques du travail, la Méthode de l’objet technique devient un outil de coanalyse du réel d’activité en vue de développer les ressources collectives d’appropriation –
transformation des changements technico-organisationnels. Sa spécificité, par rapport aux
autres méthodologies d’analyse du travail, se situe au niveau du rôle de l’objet technique dans
un univers professionnel en perpétuel évolution. « L’objet technique est non seulement le
contemporain des acteurs actuels de l’acte pédagogique mais il est aussi le témoin culturel de
l’homme de tous les temps » (Marcon). L’univers virtuel réservé au travailleur cognitif amputé
de sa corporéité où les seules traces du réel, « sources d’une altérité absolue » (Tisseron, 1999)
auxquelles il peut encore se confronter, se matérialisent dans les objets techniques.

Partir des expériences pratiques de la Méthode de l’Objet Technique

La MOT se pratique. Thierry Gaubert, l’un de ses concepteurs et créateur de Metod Crea, illustre par le récit de cinq expériences qui rendent compte de son utilisation et de son évolution. Ces exemples montrent dans quels contextes la MOT a été choisie, pour quels buts et pour quels résultats possibles. Autour d’un objet technique quel qu’il soit et quels que soient le contexte et les objectifs de l’intervention, ce sont toujours les mêmes questions qui sont posées aux participants :

  • Quels sont les éléments qui composent cet objet technique ?
  • Comparez les éléments entre eux et expliquer la loi de fonctionnement de l’objet ?
  • Comment ça marche ou alors, qu’est-ce qui fait que ça ne marche pas ou marche mal,
    ou moins bien ?

Une séquence : objet technique, répond à une demande ou à une question de recherche. Elle
se déroule toujours en trois temps :

  • Tout d’abord, un premier travail sur l’objet technique par des groupes constitués (deux
    minimum) consiste à démonter l’objet, nommer ses composantes et comprendre sa
    loi de fonctionnement. Les participants mobilisent différentes ressources (leur
    expérience, une documentation sur l’objet technique, l’appui d’un conseiller
    technique). Chaque groupe a un observateur/consultant qui se charge de prendre note
    du fonctionnement du groupe sur la base d’une grille d’analyse correspondant à la
    demande.
  • A l’issue de ce temps de mise en situation, s’engage une phase de co-analyse par
    groupe de travail, sur la base des observations et du vécu des participants. Comment
    le groupe s’est organisé ? comment les rôles se sont répartis ? Que savaient-ils de cet
    objet technique ? Qu’ont-ils pu découvrir au cours de ce travail collectif ? Etc.
  • Le troisième temps d’une séquence doit permettre, au regard des données recueillies
    au cours des deux premières étapes, une expression de tous les participants, de
    besoins individuels et collectifs de formation et/ou de transformations de la situation
    de travail

Principes de la méthode

Le choix de l’objet technique est fondamental et oriente l’intervention et inversement. Les
exemples présentés dans l’ouvrage montrent l’enjeu et l’efficacité d’une telle démarche pour
le diagnostic des situations de travail, le développement des capacités d’auto-évaluation
positive, l’interaction dans un collectif, l’expression des projets individuels et collectifs de
formation ou de transformation dans l’organisation de travail.
L’objet technique situé et médiateur, au sens dialogique du terme, ouvre les perspectives
pédagogiques d’une méthode inductive et de construction de savoirs pratiques à visées
conceptuelles. À partir d’une expérience singulière, elle permet d’apprendre en s’interrogeant
tout en faisant émerger des besoins en réponse à une problématique de départ, qu’elle soit
dans le champ de la formation ou dans l’accompagnement des organisations de travail. Nous
pouvons utiliser une multitude d’objets techniques comme analyseur, comme médiateur,
comme révélateur.
L’objet choisi doit être familier, riche, ouvert et concret.
Pour qu’un objet technique puisse fonctionner à la fois comme fédérateur des différentes
données d’une situation de travail et comme déclencheur/médiateur d’un processus
d’analyse, il doit posséder quatre caractéristiques telles que les avait définies Michel Marcon
dès les premières utilisations de la MOT :

a) L’objet technique doit être familier
En aucun cas, la rencontre entre un collectif de travail et de l’objet technique ne doit
ressembler à un « guet-apens ». Il est important que les membres de ce collectif
puissent se l’approprier à partir de leurs savoirs expérientiels. Cet objet fait partie de
leur univers professionnel.
b) L’objet technique doit être riche
Il doit être le produit d’une « synergie de fonctions » et avoir une fonction globale
intéressante. Riche dans le sens d’objet complexe permettant un travail de recherche,
de « réinvention » de la part d’un groupe.
c) L’objet technique doit être ouvert
C’est-à-dire démontable, soit par des opérations concrètes de manipulation, soit par
des opérations de représentation. Ouvert dans le sens où le groupe agit en démontant
l’objet, en nommant les éléments qui le constituent, en comparant les différentes
fonctions et en expliquant sa loi de fonctionnement.
d) L’objet technique doit être concret
Cette caractéristique doit être dans le sens d’un objet ayant une signification concrète
pour un individu et un groupe déterminé. L’objet concret existe dans le « milieu
naturel » du groupe, il permet l’expérience première et a une fonction autonome.
C’est aussi un objet concret dans le sens matériel.

Au regard de ces caractéristiques, le choix d’un objet technique ne dépend pas des
catégorisations formelles (niveaux scolaires, qualifications, pré requis) des publics concernés
par l’intervention et permet ainsi de retravailler la demande. Dans cette perspective, les objets
techniques peuvent être des analyseurs de l’organisation du travail, des médiateurs des
processus de coopération, des révélateurs des savoir-faire et de la créativité mobilisée dans
le travail (Gaubert & Rouat, 2021)

Démarche et contextes d’intervention

La démarche comprend plusieurs étapes :

  • a) Une analyse approfondie de la demande
  • b) Le choix concerté de l’objet technique
  • c) La mise en œuvre du dispositif de la MOT avec les acteurs de terrain
  • d) La restitution du travail et les perspectives à construire

Elle est susceptible d’être utilisée dans différents cadres et contextes d’intervention :

  • a) Pour prévenir les risques psychosociaux au travail qui sont aujourd’hui un champ
  • d’intervention incontournable et une question majeure pour les entreprises
  • b) Pour exprimer des besoins de formation des professionnels
  • 7
  • c) Pour accompagner les changements et les transformations organisationnelles et les
  • mutations du travail

La méthode se base ainsi dans un premier temps sur les savoirs d’expériences pour construire
un savoir transférable à d’autres situations. Il s’agit donc bien d’une approche
développementale qui est recherchée dans l’intervention. Aussi, la méthode ne se restreint
pas au collectif de participants. L’ambition est bien de mettre en dialogue différentes
catégories d’acteurs (professionnels de terrain, concepteurs, managers) pour engager un
travail d’organisation par la suite. L’action visée avec cette méthode est de développer des
ressources individuelles mais aussi collectives et organisationnelles, d’installer un cadre
d’intervention pour faire échanger les différentes catégories d’acteurs sur les manières de
travailler, et les règles entre ceux qui les conçoivent, ceux qui doivent les appliquer et ceux qui
les font appliquer.

La MOT : une approche complémentaire aux méthodes de co-analyse de l’activité

La MOT est à rapprocher de la catégorie des méthodes de co-analyse de l’activité. Elle possède
des caractéristiques et visées communes aux techniques de l’auto-confrontation et de
l’instruction au sosie telles que décrites par la clinique de l’activité (Clot, 2008). En effet, en
clinique de l’activité, le soutien qu’est susceptible d’apporter l’intervenant n’emprunte pas en
priorité aux méthodes de transmission de connaissances ou de formation des acteurs.
L’intervention en clinique de l’activité consiste à organiser des expériences de « travail sur le
travail » (Miossec & Rouat, 2020). C’est donc une position active des professionnels qui est
recherchée. Ils réfléchissent à ces expériences ; ils ne sont pas objets ou destinataires de
connaissances mais bien producteurs de connaissances en situation. Le dispositif attribue
donc une place centrale aux collectifs de travail sans l’action desquels il n’est pas possible
d’envisager une transformation durable (Clot, 2008). L’enjeu de l’intervention en clinique de
l’activité consiste, à partir de la demande d’un collectif, à concevoir et mettre un œuvre un
cadre et un processus d’élaboration dialogique facilitant une pensée collective sur le travail.
C’est la visée de la MOT.
Ce processus que l’on retrouve dans la clinique de l’usage (Bobillier Chaumon & Clot, 2016)
vise à renforcer l’activité réflexive des collectifs leur permettant ainsi de rendre intelligible la
situation de travail afin de pouvoir s’entendre sur les voies possibles de son développement.
Dans cette optique, l’élaboration d’une pensée collective sur le travail consiste à développer
la créativité s’affranchissant des manières habituelles de penser et de se penser dans le travail.
On pourrait, en paraphrasant Winnicott (1975), définir ce cadre méthodologique comme une
« sphère intermédiaire d’expériences » ou un « espace transitionnel » lieu de ressources du
développement.
La spécificité de la MOT et son apport comme méthode d’analyse du travail est d’interroger
directement la dimension prescrite du travail concrétisée par l’objet technique et sa loi de
fonctionnement contrairement à l’auto-confrontation et à l’instruction au sosie. En effet, ces
dernières prennent comme point de départ de l’investigation collective des questions de
métier que recense le collectif de travail et partent ainsi du réel du travail.
La MOT quant à elle constitue une expérience collective de travail à partir d’un objet technique
dans laquelle s’inscrit l’expérience de confrontation au réel du travail. En convoquant
directement la dimension du prescrit du travail, sans écarter le réel, elle a selon nous, plus de
poids pour modifier l’organisation du travail et pas seulement le travail réel des collectifs.
Cette activité individuelle et collective, hic et nunc, ouvre sur une autre activité, propre aux
méthodes indirectes, consistant à revenir sur cette activité, dans un processus de
redoublement. Comment grâce aux traces de cette expérience commune, (mieux)
comprendre ce qui s’est construit autour de cet objet ? Cet espace facilitant le faire expérience
ensemble, est une étape riche pour s’engager dans l’analyse de ce qui s’est déroulé.

Lire le texte référence de Michel Marcon